Comme toutes les fois où Juliette pouvait quitter sa vie morose et l’ambiance du Consulat, elle était soit chez elle, soit à l’Institut. Cette fois, la sorcière avait passé toute la nuit dans la serre à travailler des dossiers au milieu de cette végétation qui la reposait. Céleste qui n’était plus vraiment là, les soirées et la saison presque mondaine qui s’affaiblissait avec l’hiver, elle était seule avec ses souvenirs et la solitude ne lui allait pas au teint. Juliette le savait et refusait de l’admettre, elle était seule. Cette solitude qu’elle avait comblée des années grâce à ses amis en France, puis une fois arrivés aux USA, il y avait eu durant un temps le travail, dans un autre temps la venue d’un couple de Shadowhunters et d’un bébé. Certes, elle se souvenait avoir rendu des services ci et là, mais ce couple avait su la convaincre que s’occuper d’un bébé serait bénéfique pour l’enfant et pour eux, trop souvent en missions pour s’occuper du bébé. C’était il y a douze ans, et la blonde se souvient parfaitement d’Angeline la première fois qu’elle l’a tenu maladroitement dans ses bras. Le dernier bébé qu’elle avait tenu, c’était Horace, le fils de Camille et Lucile. Donc avant la Révolution française, des siècles désormais… Fermant son sac, rangeant ce qu’elle avait à ranger, la Desmoulins se souvenait qu’elle avait dû jouer la terrestre avec l’enfant. Durant les huit années qu’elle avait eu ses gardes, Angeline n’avait rien connu du monde obscur. Et le choc avait été terrible. Certes, la nourrice qu’elle était n’avait pas voulu que l’enfant soit au courant dans la foulée, juste quelques semaines plus tard. Ça avait été déchirant et ça ne faisait aucun doute qu’Angeline lui en voudrait pour quelque temps. Mais depuis quatre ans, elle n’avait pas reposé les yeux sur l’enfant… Ou bien si, juste quelques secondes. Ce matin-là, serait sans doute comme un autre, elle descendrait, verrait le peu de Shadowhunters qui venait de se lever ou bien qui était encore de garde, mais à sept heures, elle espérait qu’ils soient pour la plus part debout et non sur le point de dormir. Mais descendre de la serre, ça signifiait passer devant la salle de formation. Sans trop comprendre pourquoi et son sac sur l’épaule, la sorcière s’appuie sur le bois des portes pour y regarder ceux qui seraient là. Un sourire en coin se niche sur son visage de porcelaine. Angeline, elle semble être là de dos, à faire des trucs de chasseurs d’ombres, quoi de plus logique n’est-ce pas ? Mais elle ne dit rien Juliette, elle la regarde bêtement. Elle a tant grandi, elle, ce bébé qu’elle aurait bien voulu garder juste pour elle. Cette enfant qu’elle avait vue marcher, qu’elle avait entendu parler ses premiers mots, car elle était la seule à cette époque qui était présente pour elle.

La blonde ne pensait pas rester ici des heures à regarder ce qui se passait. Elle était juste impressionné Juliette des progrès de son petit bébé. Certes, elle avait compris la démarche des parents d’Angeline en la préservant des années du monde obscur. Les petits au sang d’anges ne vivaient pas très longtemps quoi qu’on ne dit. Et au moins, les huit ans passés entre le monde « normal » et l’appartement de la sorcière, avait eu pour effet de garder les petits nephilim en vie, assez vieille pour recevoir ses premières runes et faire partie de l’Institut. Pourquoi ne pas l’avoir revu avant ? Juliette connaissait mieux que personne l’entêtement de cette enfant, et la réticence de ses parents à voir la sorcière tourner autour de l’enfant comme si c’était la sienne. Après tout, sur les huit premières années, Juliette avait été là. Plus que les parents biologiques en tout cas. Les bobos, les sorties d’école, c’était la sorcière qui les avait gérés. Pas maman et papa. Alors parfois, elle était vite désabusée et tendue des réactions qu’elle subissait de la part de l’enfant. Évidemment que la brunette la remarque, c’est ce qui fait que la blonde se redresse finalement, réajustant la lanière de son sac à son épaule. « Salut Juliette » elle sortait. Quelle chance finalement ? Du moins, cela l’aurait été si la sorcière ne retroussait pas le nez irrité. Les bras toujours croisés sous sa poitrine. C’était certain qu’avec le temps passé ensemble, Juliette ne lui avait pas inculqué de telles valeurs, au moins, elle avait gardé cette politesse. Il faut néanmoins un temps à la française pour se retourner et articuler. « Bonjour. » Et d’esquisser un sourire poli, mais contrarié. « Tu t’entraines de si bons matins tous les jours ? Non… Parce que ça me semble drôle, je viens si souvent que je ne t’avais pas vu. » Évidemment, elle ne doutait pas un instant que la petite l’évitait. Puis finalement taquine et ironique, elle ajoute. « À moins que ma dame Blackmore ne passe son temps à bouder pour éviter sa pauvre nourrice qui passe son temps à travailler. » Finalement, elle hésite à poser une main sur l’épaule de l’enfant et retient son geste, ramenant sa main sur son cœur. « Très sérieusement… Angeline, le choix de vie qu’on m’avait imposé pour toi, je ne devrais pas le prendre en retour de bâton. » Elle parlait, car elle savait ce que la petite pensait. Et Juliette avait raison, du moins elle le pensait. Mais elle ne méritait pas de haine, car on lui avait fait promettre de ne rien dire, et trop attachée pour qu’on lui retire l’enfant, elle n’avait rien dit.

« J'essaye durement, mais sûrement de m'entraîner une fois par jour, même si ce n'est pas ce que je préfère... » Cette petite avait toujours préféré les livres, Juliette le savait parfaitement. C’était une intellectuelle, parfois trop maladroite pour certaines disciplines manuelles. Mais elle avait pris du galon avec l’âge. C’est tout ce qu’elle avait pu constater en la regardant s’entrainer. Quelle serait son arme ? L’épée ? Le poignard ou alors l’arc ? Angeline avait l’aura d’un stratège, contrairement à ses parents qui étaient de redoutables combattants. D’où le fait qu’ils étaient continuellement en mission pour l’Enclave et la petite constamment chez la sorcière. Au moins, elle ne pouvait pas réfuter le sang d’ange qu’elle avait dans les veines et Juliette ne pouvait pas réclamer l’exclusivité de cette enfant. Même si elle l’avait voulu, sa vie était désormais dédiée à l’apprentissage et dans le futur à la chasse aux démons… Ce qui effrayait la blonde plus qu’autre chose. Elle savait comment ses pairs, les créatures et les démons, étaient parfois impitoyables face aux Anges et leurs défenseurs. Néanmoins, la Française pensait que la bouderie de la jeune nephilim était mal dirigée. Juliette n’avait rien fait, rien d’autre que de suivre les instructions de ses parents. « Écoute Juliette, je n'ai pas non plus demandé à vivre ça, pourquoi on ne m'a pas simplement m'y dans le bain directement comme Max... » La sorcière s’accroupit devant l’enfant. De sa naissance à ses huit ans, Juliette lui avait donné l’amour d’une seconde mère. C’est pour ce genre de chose que le semi-démon se détestait, elle était incapable d’avoir un enfant naturel, elle enviait tant les autres, que quand on lui confiait quelqu’un, elle avait tant de mal à s’en défaire. Et elle aurait voulu être rassurante et lui dire que ça ne faisait rien si elle n’était pas dans le moule des Shadowhunters depuis sa naissance. « Tes parents n’ont pas le nom de Max, ni la protection et les privilèges des Ligthwood. Tu sais comme moi maintenant que les Nephilims ne vivent pas vieux. Et nous avions peur que les ennemis de tes parents ne te prennent en chasse, ou en otage contre des rançons qu’ils étaient incapables de payer. » C’était pour te protéger. Voilà ce qu’elle veut dire. Même si la magie de Juliette aurait pu la sauver mille fois, elle avait accepté sans condition, mais qu’est-ce qu’une enfant de douze ans pouvait comprendre à cet instinct maternel qui ne sera jamais comblé ? Pas grand-chose Juliette le craint. « Ils ont eu cette chance d’avoir une fille parfaite Ange… S’ils n’avaient pas fait ce qu’ils ont fait… Par l’Ange, je n’ose même pas imaginer ce qui aurait pu t’arriver… »